« Le crime du Bengale » de Madhusree Mukerjee

Le livre « Le Crime du Bengale », ou « La guerre secrète de Churchill », raconte l’un des épisodes les plus meurtriers de la Deuxième Guerre mondiale, quasiment absent des milliers d’ouvrages pourtant consacrés au conflit : la famine provoquée par le colonisateur britannique en Inde, et qui tua de 3 à 4 millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

Le réquisitoire implacable de la chercheuse indienne Madhusree Mukerjee, publié aux éditions Les Nuits Rouges, se concentre sur la région du Bengale, au nord-est de ce qui était alors l’Empire Britannique des Indes, et plus précisément sur la terrible année 1943, pic de la famine.
Au cours de son histoire millénaire, le sous-continent indien avait connu des hauts et des bas en matière d’alimentation, le plus souvent au gré des conditions naturelles, mais la situation ne cessa de s’aggraver avec la conquête du pays par l’impérialisme anglais au XVIIIème siècle, et la destruction progressive de l’économie traditionnelle qui avait permis au pays de faire face aux plus grosses calamités.
Au Bengale , la situation commence par se détériorer en 1942 avec un cyclone, de mauvais présage pour les récoltes à venir. Mais cette catastrophe naturelle n’est rien comparée aux mesures que va prendre dans le même temps l’administration coloniale.
La Grande-Bretagne étant en guerre depuis 1939, on procède d’abord à des réquisitions forcées des ressources alimentaires et des moyens de transport au profit de l’armée. Ensuite, lorsque le Japon ouvre les hostilités fin 1941 et qu’il occupe rapidement la Birmanie, autre colonie britannique située à l’est du Bengale, Londres ordonne une pratique de la terre brûlée sur des dizaines de milliers d’hectares : il s’agit de priver préventivement l’armée japonaise de ressources agricoles au cas où elle avancerait jusqu’au Bengale, mais rien n’est fait pour compenser les paysans qui vivent sur ces territoires, et qui se retrouvent totalement démunis.
Le pire est à venir. Début 1943, comme cela était prévisible, il n’y a plus rien à manger dans des milliers de villages de cette province et des couches entières de la population vont bientôt mourir de faim. Pourtant, le gouvernement dirigé par Winston Churchill ne reprend aucune mesure, et s’oppose férocement à l’envoi de tous secours, alors que les capacités de ses alliés (Etats-Unis, Canada, Australie notamment) sont immenses, et qu’elles servent d’ailleurs, grâce à la multiplication des convois maritimes, à constituer de gigantesques réserves (plus de 20 millions de tonnes)  au Royaume-Uni lui-même !
Churchill, un politicien dont le racisme n’avait rien à envier à celui d’un Hitler, était soucieux d’avoir la paix sociale à domicile avec des gens convenablement nourris, mais pour lui, les Indiens, « une race des plus bestiales qui se reproduit comme des lapins», pouvaient bien mourir au bord des routes.

« Le Crime du Bengale », de Madhusree Mukerjee, aux éditions Les Nuits Rouges, 430 pages illustrées, 18 €